Mais comment oser mélanger Lukas Dhont, Kristof Calvo et Milo Rau ?

| 25 mei 2018
Qu’ont en commun Milo Rau, le nouveau directeur du NTGent, Kristof Calvo, l’homme politique de Groen et Lukas Dhont, le cinéaste réalisateur du film « Girl » ? Ils veulent faire bouger les lignes et les gens, et le proclament haut et fort. Par Béatrice Delvaux- Le Soir

Mais pourquoi mélanger des gens aussi différents que le metteur en scène suisse Milo Rau qui prend la direction du Théâtre NTGent, l’homme politique Groen Kristof Calvo et le jeune cinéaste Lukas Dhondt, réalisateur de Girl , Caméra d’Or à Cannes ? Pour deux simples et excellentes raisons qui ont tout à voir avec l’audace : ces trois « Flamands » osent des idées neuves et mélanger les genres. Ces hommes jeunes et décomplexés viennent chacun à leur façon de publier leur manifeste, qui est un plaidoyer pour repenser leur monde et revoir les modèles prescrits.

Pour Lukas Dhont, c’est le film Girl qui sert de manifeste à sa conviction qu’il faut faire tomber les barrières de genre. L’histoire d’un jeune danseur qui se rêve ballerine a bouleversé Cannes et va hanter les esprits dès sa sortie en salles. Le cinéma pour changer les mentalités ? L’envie forcenée de raconter sur écran la vie des gens qui revendiquent leurs désirs et leur identité pourrait y contribuer.

A l’ère des marchés segmentés et des séries télévisées dans la langue d’origine (espagnol, danois, allemand...), Lukas Dhont milite par ailleurs pour un autre mélange, celui des langues : son film bilingue a été tourné en français et en néerlandais. Le jeune homme clamait d’ailleurs à Cannes que « la différence entre Flamands et Wallons est une honte » et souhaite qu’on l’identifie comme cinéaste belge. Punt aan de lijn.

Kristof Calvo, une des personnalités clés de Groen, à Malines ou à la Chambre, fait de la politique en écoutant les « Lukas Dhont » de ce monde. Dans son cas, c’est un livre en l’occurrence, et pas un film, qui sert de manifeste. Leve Politiek est une déclaration d’amour à la politique mais marque surtout la volonté de faire cette politique autrement, à travers 50 propositions inspirées par des conversations avec de jeunes « possibilistes » ou encore l’écoute par exemple du hip hoppeur bruxellois Zwangere Guy (Stikstof).

« Dans son titre 1000 Milligram (où il proclame « fuck de N-VA. Ils pensent au futur mais ne vous donnent pas un cent », NDLR), Zwangere Guy fait aussi de la politique, à partir de sa connaissance intime de Bruxelles, même s’il n’est pas parlementaire. »

Des idées ? Ces derniers jours, la proposition la plus médiatisée du jeune Groen est le remplacement des six assemblées du pays par un Parlement national, au sein desquelles existeraient des chambres régionales pour les compétences comme l’enseignement et la culture. « Aujourd’hui, le problème c’est que tous les mandats et les niveaux de pouvoir travaillent l’un à côté de l’autre mais ne se parlent pas. Je veux changer cette situation avec ce que j’appelle le fédéralisme de rencontre ». Construire un nouveau modèle qui favorise le travail ensemble ? Cela passe aussi pour lui par la refédéralisation de certaines compétences, comme la mobilité, le climat, l’énergie.

Preuve qu’il faut oser pour être suivi : cette refédéralisation des compétences qu’il avait suggérée il y a quelques mois, a depuis fait des adeptes dans d’autres partis flamands, comme l’Open VLD et le CD&V. « Moins de mandats et plus de politique » c’est son mantra : « C’est important d’apporter une vraie alternative au confédéralisme et à l’indépendantisme de la N-VA. » Mais ses idées sont loin de n’être qu’institutionnelles, elles concernent aussi le vivre ensemble et la réduction des inégalités. Il propose ainsi de supprimer l’argent en cash pour privilégier le tout-électronique, de ne pas déterminer le début de la pension par un âge limite mais via le nombre d’années de carrière, de faire du revenu universel le rêve du futur, de supprimer les provinces et les intercommunales qui travailleraient au sein d’une Ville-Région, gérée par un collège de bourgmestres, etc.

Calvo interpelle le citoyenen lui demandant de se positionner en votant sur ces 50 propositions, conseillant à ceux qui sont tentés de faire de la politique : « La curiosité doit être au coeur de votre mission . »

Et le metteur en scène Milo Rau, que vient-il faire dans notre histoire ? Il a rendu public la semaine dernière un manifeste revendiqué comme tel, ayant pour but de libérer le théâtre de sa tradition.

Pour passer des paroles, aux actes, il impose désormais aux productions proposées au NT Gent de souscrire toutes désormais à dix règles intangibles :

1) le théâtre n’est pas là pour représenter mais pour changer le monde ; 2) le théâtre n’est pas un produit mais un processus de production où l’enquête, le casting, les répétitions et les débats doivent aussi être ouverts au public ;

3) l’interprétation littérale des classiques sur scène est interdite et s’ils inspirent une oeuvre, ils ne peuvent plus en composer in fine que 20 % ;

4) au moins un quart du temps de répétition doit prendre place

hors de la salle de théâtre ;

5) dans chaque production, on doit au moins parler deux langues différentes sur scène ;

6) au moins deux des acteurs sur scène ne doivent pas être des professionnels ;

7) le volume total des décors doit être inférieur à 20 mètres cubes et pouvoir être transporté dans un véhicule qu’on peut conduire avec un permis voiture.

Etc. Mégalo ? Despotique ? Les mots ont déjà été prononcés. Mais Milo Rau n’en a cure et son théâtre parle pour lui. Ses pièces/films Tribunal du Congo , Five Easy Pieces (l’affaire Dutroux vue par des enfants), Histoire du Théâtre (l’affaire Jarfi) répondaient toutes à sa volonté forcenée de rendre les frontières entre le théâtre et le monde extérieur, poreuses. « Si la réalité est scandaleuse, triste, complexe, traumatisante, radicale, perverse ou marrante, alors le NTGent le sera aussi », déclarait-il lors de la présentation des saisons à venir qui s’annoncent très excitantes et seront comme les précédentes aussi destinées aux francophones.

Mélange des genres, mélange des langues ? Milo Rau et Lukas Dhont appliquent à la lettre le prescrit de Calvo : « Nous devons tous faire de la politique, mais autrement. »